Les causes: les "faiblesses du dispositif réglementaire actuel", disent-ils, citant la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la loi de 2004 sur la confiance dans l'économie numérique (LCEN), "la très rapide évolution technologique et structurelle du monde numérique", mais aussi "une certaine indifférence des pouvoirs publics". Vingt recommandations sont avancées. "Le gouvernement partage le sens d'un grand nombre" d'entre elles, a précisé Matignon. Parmi elles, la proposition d'imposer aux plates-formes un délai maximum de 24 heures pour retirer les contenus manifestement racistes et antisémites. Ce délai "peut être envisagé s'il est entouré de garanties juridiques appropriées", estime le Premier ministre, qui juge même qu'il pourrait être "beaucoup plus court s'il est décompté à partir du signalement d'une autorité publique ou agréée".
Sanctions financières, dépôt de plainte en ligne...
Edouard Philippe est aussi favorable "à la mise en place de sanctions financières très dissuasives". Le rapport Amellal-Avia-Taïeb propose en effet de multiplier par cent le montant des amendes encourues par les grands réseaux sociaux et moteurs de recherche quand ils manquent à leurs obligations (retrait, déréférencement de contenus, coopération avec les autorités judiciaires).
Ces amendes pourraient aller jusqu'à "un montant maximal de 37,5 millions d'euros pour les personnes morales et 7,5 millions d'euros pour les personnes physiques", selon le rapport, qui cite le cas de l'Allemagne où un tel dispositif a été mis en place début 2018. Les géants du net en ligne de mire
Le Premier ministre approuve également l'idée d'une procédure de signalement uniformisée des contenus illicites (le rapport suggère une procédure "clairement identifiable par un +logo standardisé+"), d'un traitement judiciaire "plus rapide et plus efficace" ou encore d'un mécanisme de dépôt de plainte en ligne, prévu par le projet de loi de réforme de la justice bientôt soumis au Parlement.
Le gouvernement entend agir également sur le plan européen. Dans ce cadre, M. Philippe se dit intéressé par la proposition de créer un statut particulier pour les plus grands réseaux sociaux et moteurs de recherche, dont le régime de responsabilité serait renforcé. Des tests en France
Les propositions du rapport vont être "approfondies" dans le cadre des États généraux des régulations numériques lancées par le secrétaire d'Etat Mounir Mahjoubi, souligne Matignon, qui précise aussi que le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Dilcrah) est chargé de leur suivi.
Des tests réalisés pendant trois mois dans 14 pays européens, dont la France, par le Mouvement antiraciste européen EGAM montrent que les réseaux sociaux manquent à leurs obligations en matière de discours de haine. Selon cette étude également publiée jeudi, "seuls 31% des messages haineux signalés sont supprimés après 24 heures". Le 31 mai 2016, Facebook, Twitter, YouTube et Microsoft avaient signé un code de bonne conduite sous l'égide de la Commission européenne, les engageant à lutter contre les propos haineux distillés par leurs services en ligne en Europe. Ces entreprises s'engageaient à "avoir des procédures claires et efficaces pour examiner" les signalements de "discours de haine illégaux" sur leurs supports et à examiner la majorité des signalements "en moins de 24 heures" pour les supprimer si nécessaire.
La justice tente de bloquer l’un des principaux sites de la « fachosphère » Selon nos informations, l’administrateur de DemocratieParticipative.biz pourrait être Boris Le Lay, figure de l’extrême droite déjà condamnée en justice. LE MONDE |
18.10.2018 à 00h53 • Mis à jour le
18.10.2018 à 08h39 | Par Elise Vincent et Martin Untersinger
C’est une première en France.
Le procureur de la République de Paris, François Molins, a assigné en référé les opérateurs de télécommunications afin qu’ils bloquent un site internet d’extrême droite publiant des contenus haineux en ligne, a confirmé au Monde une source proche du dossier, mercredi 17 octobre. Cette démarche inédite sur la Toile, résultat de mois d’aléas judiciaires, est particulièrement portée par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), organisme rattaché au premier ministre. En vertu de cette assignation, neuf opérateurs, dont les quatre principaux – SFR, Orange, Free et Bouygues Telecom – sont assignés, le 8 novembre, au tribunal de grande instance de Paris, dans le cadre de cette procédure d’urgence. L’objectif : constater le trouble « manifestement illicite » causé par ce site, selon les mots du parquet de Paris, et ordonner de cette façon le blocage de l’accès à la plateforme dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard. Un site sans équivalent à l’extrême droite Le site en question porte très mal son nom : il s’appelle « DemocratieParticipative.biz ». Sur ses pages se déploie une litanie d’articles et de vidéos antisémites, homophobes, antimusulmans et racistes. Ce site, qui se revendique « le plus lu par les jeunes blancs décomplexés », agonit aussi régulièrement d’injures divers responsables politiques et personnalités médiatiques. Au point de servir souvent de base arrière à des campagnes de harcèlement numérique d’une rare violence.
Par sa radicalité, « DémocratieParticipative.biz » n’a pas d’équivalent dans la nébuleuse d’extrême droite. Bien que repéré depuis de longs mois, l’activisme du site, créé en 2016, défiait tous les recours juridiques. Les divers signalements effectués par Frédéric Potier, le préfet délégué à la tête de la Dilcrah, par la voie de l’article 40 au parquet de Paris, ne trouvaient pas d’issue judiciaire. Même chose pour près d’une dizaine d’enquêtes diligentées par différents services de police après des signalements sur la plateforme Pharos du ministère de l’intérieur dédiée aux contenus illicites circulant sur le Web, ou des plaintes déposées dans différents départements de France. Un hébergement américain Les autorités françaises – ainsi que plusieurs particuliers et associations – ont bien essayé de contourner ces échecs en tentant de limiter l’impact de «DemocratieParticipative.biz » en le faisant par exemple supprimer des résultats de recherche Google. La Dilcrah a même obtenu, en janvier,la disparition de la page d’accueil de « DemocratieParticipative.biz » du moteur de recherche. Une solution néanmoins très partielle, puisque le site est resté en ligne. Au cœur du problème : le lieu d’hébergement de « DemocratieParticipative.biz ». Pour abriter sa structure, le site a depuis ses débuts recours à une société américaine, Cloudflare. Celle-ci n’a jamais donné suite aux réquisitions françaises. Elle s’abrite derrière le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui protège de façon extensive la liberté d’expression, et derrière l’absence de contrainte légale l’obligeant à répondre à des autorités judiciaires autres qu’américaines. LIRE AUSSI : La guerre discrète de la « preuve numérique » Autre difficulté : l’identification et l’éventuelle interpellation de l’administrateur du site.
D’après une note conjointe de la Direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police (PP) datant d’avril, que Le Monde a pu consulter, de nombreux éléments permettent de penser qu’il s’agit d’un militant d’extrême droite d’origine bretonne très connu de la « fachosphère » : Boris Le Lay, né à Quimper et âgé de 38 ans, suivi sur Facebook par plus de 120 000 personnes et par plus de 10 000 abonnés Twitter. Des soupçons sur une figure de proue de la « fachosphère » Selon cette note de la DGPN et de la PP, « plusieurs éléments concordants » désignent en effet M. Le Lay. Le plus fiable étant une adresse IP commune à DemocratieParticipative.biz et à deux sites ouvertement gérés par ce militant, signe que les trois plateformes étaient présentes sur le même serveur informatique. Un élément qu’a pu confirmer Le Monde de façon indépendante. Fin septembre 2017, la fachosphère avait brui de la « censure » de DemocratieParticipative.biz : il avait, effectivement, disparu du Net, sans explications.
Fait troublant, les deux sites appartenant à M. Le Lay se sont évaporés au même moment. Or sur sa page VKontakte, un réseau social russe, M. Le Lay avait alors répondu à une admiratrice qui s’inquiétait de la disparition de DemocratieParticipative.biz :
« On doit reconstruire l’architecture », écrivait le militant. Quelques jours plus tard, ces trois sites changeaient d’hébergeur, et pratiquement en même temps, selon les données techniques consultées par Le Monde. M. Le Lay est loin d’être un inconnu pour les services de police française. Il a de nombreux antécédents judiciaires pour « diffamation »,« apologie de crime », ou « injure », et a été plusieurs fois condamné, entre 2011 et février 2018. Son parcours militant est aussi éloquent.
D’abord engagé dans un groupuscule indépendantiste breton proche de l’ultradroite identitaire, Adsav (Renaissance), il fonde, en 2006, l’association Breizh-Israël qui a pour objet « la promotion des liens entre l’Etat d’Israël, la communauté juive mondiale et les Bretons ». Il bascule plus tard dans l’antisémitisme en rencontrant l’essayiste nationaliste Hervé Ryssen. Il s’occupera aussi un temps « des relations avec l’Europe » du Mouvement des damnés de l’impérialisme du très controversé Franco-Béninois Kemi Seba. Treize mandats de recherche et une fiche S Aujourd’hui, la justice bute toutefois sur la fuite au Japon de M. Le Lay. Malgré les treize mandats de recherche et la fiche « S » dont il fait l’objet pour son appartenance à la mouvance d’extrême droite radicale, impossible jusqu’à présent d’obtenir son extradition. Ces mandats ont été émis pour « injures publiques envers un particulier en raison de sa race, religion, ou origine par parole, écrit, image, ou moyen de communication au public par voie électronique ». Mais il faudrait que M. Le Lay soit contrôlé sur le territoire français ou européen pour qu’ils soient exécutables. En janvier, une notice rouge d’Interpol a fini par être diffusée pour qu’il puisse être interpellé à l’étranger, dans d’autres pays. Mais la valeur accordée à ces notices varie selon les Etats.
Pour des raisons propres à son droit national, le Japon ne peut procéder à une arrestation demandée par d’autres pays membres. Il n’existe, en outre, pas de convention d’extradition entre la France et l’Archipel. Les services de police de l’Hexagone s’inquiètent enfin du fait que M. Le Lay ait pu obtenir, entre temps, la nationalité japonaise. Bref, un casse-tête qui explique la décision du parquet de Paris d’employer les grands moyens.