-ANACR du FINISTÈRE-


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Libération de Paris. Le récit captivant d’un journaliste breton 
LE TELEGRAMME
Publié le 25 août 2019

Mis en ligne le 1 septembre 2019
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Des FFI escortent des soldats allemands qui se sont rendus, le 25 août 1944, à Paris. (Archives AFP)
Résistant et intégré à la 2e division blindée du général Leclerc qui libéra Paris, le journaliste et futur PDG de l’AFP, Jean Marin, originaire de Douarnenez, a raconté dans un « carnet de route » son 25 août 1944, jour de la Libération de Paris. En voici un extrait.

« 25 août 1944, 6 heures du matin - Cette fois, ça y est. Une décision sur laquelle on ne revient pas : je serai à Paris dans une heure.

Il fait froid. Une brume épaisse s’accroche au décor urbain de La Croix de Berny. Le long de la rue qui mène à Fresnes, les blindés avancés de la Division Leclerc progressent en direction de Paris. Je les dépasse et nous voilà, de nouveau, au milieu des jardins. Maintenant, le chemin est désert.

Paris. 75 ans après, la capitale revit la liesse de sa libération

Tout à coup, une puissante automobile découverte sort de la brume, venant de Paris. Un immense drapeau tricolore la surmonte. Je pense que ce sont les chefs de l’insurrection qui viennent guider les soldats de Leclerc (il s’agissait du général de brigade Jacques Chaban-Delmas).

Nous continuons notre route. Des drapeaux. Des gens aux fenêtres. Une grande foule. Le sergent Berthenet, au volant, me regarde stupéfait : je suis au milieu de la rue criant, sans trop savoir ce que je dis : Leclerc arrive.

Tout à coup, je suis ébloui : derrière une barricade, au-delà du pont, c’est Notre-Dame, dans toute sa majesté.

Jamais, dans aucun discours si peu de mots n’ont soulevé une pareille clameur d’enthousiasme. Là-dessus, j’ai l’impression de recevoir un coup de poing en plein visage : c’est une gerbe de fleurs d’un mètre de haut jetée au hasard à l’uniforme qui passe.

Cette échancrure devant nous, c’est la Porte de Châtillon. Encore quelques tours de roues et nous sommes dans Paris… Pas une auto, très peu de passants. La brume se dissipe. C’est le Paris matinal à l’heure des laitiers, autrefois.

Libération de Paris. Cinq personnages clés

Au Lion de Belfort (place Denfert-Rochereau dans le XIVe, NDLR), je descends pour m’orienter. Nous filons vers le Luxembourg. On entend des coups de feu. Un passant nous crie : N’y allez pas. Il y a des chars Tigre (allemands, NDLR) au Sénat.

La mitraillette passant par la glace baissée, nous nous engageons dans les petites rues qui descendent vers la Seine, sur laquelle le soleil s’est levé et où traînent encore des écharpes de brume.

Tout à coup, je suis ébloui : derrière une barricade, au-delà du pont, c’est Notre-Dame, dans toute sa majesté. On tire de tous les côtés. Encore un détour et nous voilà sous le porche de l’Hôtel de ville. Le grand escalier d’honneur est encombré de combattants à brassard, des hommes, des femmes, des infirmières, les salopettes et les casques blancs de la défense passive, des drapeaux, des armes, des gardes en uniformes.

Dans un salon, des secrétaires généraux du gouvernement provisoire. Tout ce monde exténué par la lutte, par l’insomnie, accablé par la joie, mais encore tout prêt à partir se battre au premier signal.

Dans son bureau, sous les tapisseries de haute lisse, le nouveau préfet de la Seine, M. (Marcel) Flouret. Sur la place, quelques chars de chez Leclerc : ceux qui sont arrivés hier soir à 10 heures.

À pas de loup

La bataille dure encore, mais Paris est libéré, et Leclerc va bientôt dévaler le long des pentes de la Montagne Sainte-Geneviève. Un petit homme, un boutiquier du quartier, bouleversé, sort de chez lui. Il n’a encore rien vu. Ses mains qui tremblent serrent les deux miennes. Un regard plein de larmes. Il me dit : « Alors, quoi de neuf ? »

Une fusillade nourrie éclate du côté de Notre-Dame et de l’Hôtel-Dieu. Nous partons, Maurice Schumann (porte-parole de la France libre, journaliste et écrivain, NDLR) et moi, avec une patrouille de gardes mobiles, mousqueton au poing.

Nous traversons en courant le Pont d’Arcole où les balles sifflent. Quelqu’un crie : Ils sont dans Notre-Dame. Nous frappons à l’un des portails rouges latéraux qui s’ouvre lentement. Le sacristain, qui porte un grand col cassé, nous accueille en compagnie d’un chanoine. Il s’agit de fouiller les recoins du grand vaisseau, silencieux et sombre.

Avant d’entrer, les gardes enlèvent leur casque. Nous allons, à pas de loup de colonne en colonne, d’autel en autel, de confessionnal en confessionnal. On laisse deux sentinelles à l’entrée des escaliers en colimaçon qui montent vers les abat-sons…

Dix heures - À toute allure, nous roulons vers la préfecture de police. Là-bas, c’est encore un peu l’atmosphère du camp retranché, mais c’est aussi celle de la victoire, comme l’attestent les drapeaux qui flottent partout.

Paris bouillonne et fermente… littéralement.

Voilà Charles Luizet (Préfet de police de Paris, résistant, NDLR) au milieu de ses collaborateurs et de ses troupes. Il est aussi calme et à l’aise qu’un vieux préfet de police chargé du service d’ordre pour une revue du 14 juillet. En fait, il prépare, tout simplement, en ce 25 août 1944, l’arrivée à Paris du Général de Gaulle.

Me voilà, de nouveau, dans les rues. Paris bouillonne et fermente… littéralement. On entend la vie de Paris… Son bruit de mer… Le grondement de la lutte et de l’enthousiasme populaire, tout à coup percé par des salves qui ensuite n’en finissent plus de s’entrecroiser.

Aux quatre points cardinaux, Paris est couvert de petits rectangles tricolores comme sur un dessin de Hansi… Leclerc est arrivé, il est à la préfecture de police. Tranquillement, il rédige les termes de la capitulation de von Choltitz (commandant de la garnison allemande du Gross Paris, NDLR).

Treize heures - on déjeune hâtivement dans la grande salle à manger de la préfecture de police. Mon voisin, un père dominicain, le père Bruckberger, me récite à voix basse le texte triomphal et prophétique de l’office de la fête de Saint-Louis, roi de France, qu’on célèbre aujourd’hui dans les églises.

Des gardiens de la paix se sont réunis dans la cour intérieure. À la voix qui, du petit balcon, leur crie Vive la France, vive de Gaulle, vive la République, ils répondent par un tonnerre, en agitant leur képi.

De Gaulle radieux

Quinze heures - J’ai la garde, un instant, des officiers de l’état-major de Choltitz qui viennent de se rendre. Malgré la parole donnée par le colonel qui les commande, quelques-uns commencent à parler entre eux. Sur un nouvel ordre, ils se figent silencieux, au garde-à-vous, sauf celui - un lieutenant-colonel - qui ce matin même a subi une légère opération et que nous faisons veiller à l’écart dans son fauteuil de cuir…

Nous partons avec le peloton de motocyclistes, précédé du fanion tricolore, qui fonce au devant du Général de Gaulle, signalé aux portes de Paris. Les transmissions ont été mauvaises : nous rejoignons le Général à la gare Montparnasse où est maintenant installé le PC de Leclerc.

Le Général de Gaulle me crie, radieux, en scandant chaque mot : Ils ont capitulé entre les mains de Leclerc et des FFI… Le cortège officiel dévale rapidement de Montparnasse vers la rue Saint-Dominique.

Au coin du boulevard des Invalides et de la rue Oudinot, la fusillade éclate. Les voitures s’arrêtent. Le Général descend comme tout le monde et sourit, en désignant du menton la mitraillette que je tiens à tout hasard, braquée vers une fenêtre suspecte du troisième étage.

Quelques instants plus tard, le Général de Gaulle entre dans l’hôtel de la rue Saint-Dominique où Clemenceau a gagné la guerre. On tire toujours dans Paris. Mais le Général de Gaulle est résolu à suivre point par point le programme qu’il s’est assigné : la préfecture de police et l’Hôtel de ville. Le Général arrive à l’Hôtel de ville, salué par des cris sans fin, des regards de reconnaissance. Il a parlé aux membres du CNR (Conseil national de la Résistance, NDLR), au milieu des plantes vertes du grand salon, au pied des fresques de Puvis de Chavannes.

Son programme : la guerre, l’unité, la grandeur. Mais il n’a pas fini. Il va s’adresser à la foule qui se presse en multitude sur la place de l’Hôtel de ville. Comme il n’y a pas de balcon, il se met, les mains au ceinturon, debout, sur le rebord d’une fenêtre. Vingt-et-une heures - Dans un studio de la radio française libérée par Jean Guignebert et ses amis, trois hommes parlent tour à tour, devant le micro. Maurice Schumann, Pierre Bourdan et moi-même. Pour nous, le cycle vient de s’achever. Dehors, dans la nuit chaude, Paris arrive vers nous… Par lentes bouffées de rires, de musiques, de fusillades, qui nous enivrent… ».



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