Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les anciens résistants, descendants de résistants,
Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames et Messieurs, amis fidèles de la résistance et du devoir de mémoire,
« Rentrez et racontez, pour que l'on sache, et que cela ne puisse plus se reproduire ». Ces mots relayés dans les camps de concentration et rapportés par Simone Veil sont un puissant remède contre l'oubli. Ils ont été écrits avec le sang des victimes de la barbarie nazie, ont traversé la mort et le temps. Ils nous sont transmis intacts et leur message est plus que jamais d'actualité. Ce sont ces mots qui nous rassemblent une nouvelle fois aussi nombreux, ce samedi 14 juillet 2018, à Kernabat et à Quillien. Parce que dans le souvenir et l'hommage que nous rendons aux 18 courageux jeunes hommes, résistants et patriotes, tombés sur ces champs, nous sommes à l'image celle qui vient d'entrer au Panthéon et qui repose aux côtés des résistantes Germaine Tillon et Geneviève De Gaulle-Anthonioz : des passeurs, des gardiens de la mémoire.
C'est notre devoir face à l'Histoire car rien n'est jamais acquis : des révisionnistes gavés d'idéologies malsaines réécrivent les faits et les revendiquent publiquement ; mille périls secouent le Monde laissant des champs de ruines et jetant des populations sur les routes de l'exode, dépourvus de tout, presque privé d'humanité ; et dans notre Europe en paix se réveillent lentement mais sûrement quelques volcans aux odeurs de souffre et aux relents puants de nationalismes exacerbés. Ce sont sur les cendres de nos illusions, de nos oublis, de nos renoncements que prospèrent les fascismes de toutes sortes. Pour les fanatiques, les violents, les avides de pouvoir et d'argent, chacune de nos failles est une opportunité pour frapper. Il faut être courageux comme l'étaient ces hommes devant lesquels nous nous trouvons pour nous y opposer.
C'est le message que nous nous devons de transmettre, comme celui de Maurice Druon, co-auteur du Chant des Partisans : « N'oublie pas qu'ils avaient ton âge, ceux qui tombèrent pour que tu naisses libre ». La résistance n'est pas un banal épisode de l'histoire, elle n'est pas et ne sera pas la page d'un livre que l'on tourne.
« Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent », disait Lucie Aubrac. Rescapée, combattante, confiante en l'avenir et en la capacité des Hommes à faire face, Simone Veil ajoutait : « Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous. Nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême ». C'est ainsi, qu'aujourd'hui à Kernabat, nous confions à nos enfants représentés par le conseil municipal des jeunes de Scaër, la tâche de mettre un visage sur les stèles des 18 héros qui versèrent leur sang pour notre liberté. Nous les remercions de prendre part à cette initiative, qui n'en doutons pas, souligne avec humanisme l'importance de toute vie et la douleur du sacrifice.
Aussi, il nous faut rappeler en quelques lignes les faits qui se sont déroulés ici, il y a 74 ans précisément.
Ici, Radio Londres : « Les Français parlent aux Français ! Message personnel : Le Vent souffle dans les blés ».
Ce message est capté le 14 juillet 1944, vers 11 h 00, au PC installé à Guerveur. Il annonce un second parachutage de vivres et matériels pour le soir même sur le terrain « Pêche » à Miné Kervir. Le vent souffle dans les blés pour les maquisards de Scaër, Tourc'h, Coray, Rosporden et communes alentours portant en lui les premières effluves des combats de la libération ! Le pays est encore occupé mais la tempête gronde : les résistants s'apprêtent à célébrer la Fête Nationale par défiance et fierté, comme un premier geste de réappropriation, par solidarité aussi avec les prisonniers et déportés, pour la liberté et la lutte contre l'oppression. Cette Fête Nationale sera le symbole du combat qui les rassemble par delà leurs différences politiques, religieuses et sociales. Ils sont tous unis contre le nazisme et la collaboration, prêt à mourir, mais on l'oublie trop souvent : certainement animés par une fantastique envie de vivre… de vivre libres. « Ce qui donne un sens à la vie, donne un sens à la mort » écrira à ce sujet Antoine de Saint-Exupéry avant de disparaître lui aussi, en héros.
Les maquisards sont soutenus par les femmes dont on ne peut sous-estimer l'importance dans les réseaux de résistance, aidés par les agriculteurs du coin pour le transport de matériel... mais démasqués par l'occupant allemand. Plus de 200 personnes sont mobilisés pour l'opération. Le balisage du terrain est en place et au début de la nuit du 15 juillet, vers 0 h 30, plus de 16 tonnes sont larguées à l'endroit indiqué puis acheminées vers le lieu de stockage à Kernabat. La mission est accomplie mais un millier de soldats allemands, dès l'aurore, ratissent les environ de Coadry. La bataille de Kernabat - Quillien est lancée avec un rapport de force que même le courage le plus absolu ne peut inverser. 18 jeunes hommes, âgés de 19 à 32 ans, dont nous égrainons les noms dans l'appel aux morts, sur lesquels nous mettons aujourd'hui un visage, dans les pas desquels nous marchons sur le chemin de la mémoire, seront tués, parfois dans d'atroces circonstances. La violence des nazis, tels des chiens acculés au mur et sentant la débâcle, est sans limite.
Non, leur sacrifice ne fut pas vain. La bataille qui mena à leur perte est la conséquence d'actes courageux et désintéressés réprimés dans le sang. Il s'inscrit dans un ensemble qui ne laissa aucun répit à l'occupant et qui fini par le faire reculer.
Non, célébrer leur sacrifice chaque année n'est pas vain. C'est sain. C'est vital. Et le détail des faits que nous venons de rapporter doit être raconté pour que notre passé, aussi douloureux soit-il, nous permette de bâtir un meilleur avenir, pour qu'aucun sacrifice ne soit plus jamais nécessaire. C'est pourquoi nous devons nous rassembler toujours plus nombreux, ici, chaque année. C'est pourquoi, ce que nous faisons, est chaque fois plus indispensable que l'année précédente.
Que la mémoire des résistants et de la résistance nous enseigne la vigilance, la détermination, la volonté de paix et de fraternité pour continuer à avancer vers les idéaux de liberté et de démocratie de nos glorieux aînés. C'est le sens de notre message.
Je vous remercie pour votre attention et votre présence nombreuse à cette commémoration.
Jeannine DANIEL pour le Comité de l’ANACR Scaërois