Yoann DANIEL avait pris la parole à la Cérémonie hier à Kernabat - Scaër.
Cette année encore, j'ai eu l'honneur d'écrire et de lire l'allocution de l'ANACR lors de la cérémonie de Kernabat et de l'hommage rendu aux 18 jeunes hommes massacrés dans la campagne scaëroise la nuit du 14 au 15 juillet 1944. Voici mon intervention :
Allocution ANACR – Cérémonie de Kernabat 14 Juillet 2022
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames, messieurs, les représentants de la gendarmerie et pompiers,
Mesdames et messieurs, amis de la résistance et fidèles du devoir de mémoire,
Lorsque ce petit matin de juillet 1942, à Paris, des policiers français frappent à sa porte, un père de famille juif, d'origine polonaise et installé en France depuis 20 ans, se retourne vers sa femme et ses deux petites filles âgées de 8 et 10 ans. Elles sont terrorisées. Convaincu par l'invraisemblance de la situation, il leur dit : « Ne vous inquiétez pas. Au pays de Zola, d'Hugo, de Voltaire et de Rousseau, cela ne peut se produire ».
Et pourtant ?.
Bien avant qu'il ne soit assassiné et que soit déclenchée la Première guerre mondiale, dans la société sereine et prospère de la Belle Epoque, Jean Jaurès s'adressait par ces mots aux députés : « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l'état de l'apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l'orage ». En ce début de 20e siècle qui ressemble à bien des égards au monde dans lequel nous vivons, c'est en autre l'insouciance, les certitudes, le nationalisme et la xénophobie qui conduisirent les peuples européens au pire, tandis qu'en France était diffusé à des centaines de milliers d'exemplaires un journal intitulé « L'anti-juif ».
Jean Jaurès était un lanceur d'alerte, il avait raison, on le fit taire brutalement. A l'instant même où le vent d'Est porte des odeurs de souffre, au moment même où nos concitoyens semblent s'éloigner de la démocratie en délaissant les urnes, et se laisser convaincre par l'idéologie d'extrême-droite, il y a aujourd'hui dans chaque passeur de mémoire, un peu de Jean Jaurès. C'est notre combat. C'est notre plus bel hommage.
« La flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas » exhortait le Général De Gaulle. Depuis plus de 80 ans, nous sommes des milliers à approvisionner ce feu, mais nos forces diminuent, les souvenirs s'effacent, la reconnaissance se mue en méconnaissance.
L'inéluctable usure du temps, diront certains, l'insouciance et les certitudes diront d'autres, l'implacable fatalité du destin des Hommes, concluront les derniers.
Or le monde dans lequel nous vivons n'est pas un dû, il est fruit de nombreuses luttes sociales bien sûr, mais nous le devons en grande partie au prix du sang, à celui qui ont été versé par les 18 jeunes hommes à Kernabat et de tant d'autres de leurs camarades résistants.
La transmission de la mémoire est une longue course de relais entre les générations. Lorsque le bâton tombe à terre, il faut alors pouvoir le ramasser et le transmettre à nouveau pour que la course de l'Histoire ne s'arrête pas brutalement, pour que notre histoire ne tombe pas dans l'oubli. C'est tout l'enjeu de notre présence ici : Se rappeler et ne rien céder à ceux qui voudrait nous conter une histoire « différente ».
L'ANACR tient à saluer pour l'occasion la mémoire de Cécile Rol-Tanguy, née le Bihan, à Bannalec, combattante incontournable de la résistance, figure de proue de la place des femmes après-guerre dans une France libre imaginée par le Conseil National de la Résistance.
Nous rappelons à chacun de nos rassemblements, non loin de ce talus où furent entassés les corps victimes de la barbarie nazie, à quelques jours des combats de la libération qui feront, eux aussi des dizaines de victimes, le drame qui s'est déroulé ici il y a 78 ans. Il faisait très chaud, un peu comme aujourd'hui.
Tout avait bien commencé. Un premier parachutage réussi, dans la nuit du 9 au 10 juillet, dans le cadre de l'opération Jedburgh, permit de récupérer un commando, une radio et 16 tonnes de matériels.
Il s'agit d'harceler partout où c'est possible les Allemands, de leur infliger des pertes matérielles et humaines, de couper leurs approvisionnements, d'affaiblir leur moral alors que le sort de la guerre ne fait plus aucun doute. La réception se passe bien… Mais des échanges de coups de feu ont lieu avec une troupe de la Wehrmacht, probablement en route vers une permission. Le maquis est repéré !
« Ici Radio Londres ! Les Français parlent aux Français ! Message personnel : Le vent souffle dans les blés ». Le message est capté le 14 juillet, vers 11 heures, au PC installé à Guerveur. Il annonce un second parachutage de vivres et de matériels le soir même sur le terrain « pêche » à Miné Kervir. Le vent souffle dans les blés pour les maquisards de Scaër, Tourc'h, Rosporden et des communes alentours. Il porte en lui les premiers effluves des combats de la libération !
Démasqués par l'occupant allemand, ils sont plus de 200 combattants de l'ombre mobilisés pour l'opération.
Le balisage du terrain est en place, et au début de la nuit du 15 juillet vers minuit 30, plus de 16 tonnes sont larguées à l'endroit indiqué, puis acheminées vers le lieu de stockage à Kernabat. La mission est accomplie mais dès l'aurore, un millier de soldats allemands, ratissent les environs de Coadry proche. La bataille de Kernabat-Quillien est engagée avec un rapport de force défavorable que même le courage le plus absolu ne peut inverser. 18 jeunes hommes, âgés de 19 à 32 ans, sont tués. Ils laissent, désemparés, femmes, enfants, parents, frères et sœurs, camarades de combats. Tous sauront que leur sacrifice ne fut pas vain.
Lorsqu'elle s'échappa miraculeusement de l'enfer du Vel d'Hiv, la plus jeune des filles de la famille juive, que nous évoquions au début de notre intervention, erra un moment dans les rues de Paris, avant d'être recueillie par une famille. Elle cherchait. Elle ne fuyait pas, non elle cherchait. Elle cherchait désespérément où trouver Zola, Hugo, Voltaire et Rousseau, les copains de son père.
Elle les cherchait parce qu'il lui avait dit qu' en France et avec eux ça ne pouvait pas se produire. Elle les cherchait, du haut de ses 8 ans, pour qu'ils aillent libérer sa famille.
Elle témoigne encore aujourd'hui, comme les 400 résistants encore vivant de l'ANACR, et n'eut jamais l'opportunité de dire à son papa qu'elle comprit qu'en chaque combattant de la résistance, qu'en chaque homme et femme tombés, qu'en chacun des 18 de Kernabat, il y avait un peu de Zola, Hugo, Voltaire et Rousseau.
Dans les valeurs que nous défendons ardemment, nous ne sommes pas seuls. Si lorsqu'il s'isole, l'Homme est capable du pire, lorsqu'il fait « poings serrés » comme les combattants de l'armée de l'ombre, il est capable du meilleur.
C'est ce que disait Nelson Mandela en substance: « La guerre n'est pas un accident. Comme l'esclavage et apartheid, comme la pauvreté, elle a été faite par l'Homme et peut être supprimée par des actions communes de l'Humanité ».
Que l'esprit et les valeurs de la résistance nous accompagne tous !
Merci pour votre attention et votre présence ici Scaër à Kernabat.