Allocution du samedi 21 juin 2014
Cérémonie du souvenir des fusillés de La Torche
« Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli
Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre. »
Monsieur le représentant du Préfet, Monsieur le Lieutenant de Gendarmerie,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les porte-drapeaux et représentants des associations patriotiques,
Mesdames, Messieurs, mes chers ami(e)s,
C’est par ces vers de Paul Eluard que commence cet hommage aux victimes de la cruauté nazie. Nous voici réunis dans ce cimetière de Lesconil, dans cet espace si particulier, appelé carré des fusillés et chargé de tant d’émotion. Les hommes qui reposent ici et dont les visages s’affichent devant vous, sont les martyrs d’une tragédie que notre commune n’a jamais oubliée.
Par deux fois, les 15 et 23 juin 1944, un peloton d’exécution allemand a répandu sur les dunes de la baie d’Audierne le sang de ces courageux résistants. Le plus jeune avait 17 ans, le plus âgé 42.
Le seul crime que ces hommes avaient commis était d’avoir manifesté par la force et l’impatience, l’espérance d’une libération rapide de notre territoire. Ils furent les victimes d’une répression sans pitié de l’occupant. Eux qui pourtant avaient fait le choix de ne pas faire couler le sang de leurs otages allemands furent les martyrs d’une justice expéditive et d’un simulacre de procès. Nous n’avons jamais oublié cet épisode tragique de notre Histoire.
En 1944, depuis quatre années, nos communes littorales vivaient comme le reste du territoire national sous le régime et la contrainte de l’occupant. La France vaincue et humiliée en mai 1940, avait officiellement capitulé le 22 juin. Le gouvernement de Vichy devait ajouter au désastre militaire le déshonneur de la collaboration avec les autorités nazies. Vous connaissez aussi bien que moi, les conséquences économiques, morales et humaines de cette complicité qui devaient conduire des centaines de milliers de Français dans les wagons de la déportation ou dans les fosses d’exécutions.
Dès ce mois de juin 1940, répondant à l’appel radiodiffusé d’un militaire jusque-là peu connu, les Bretons se mobilisèrent sous diverses formes contre cet asservissement de notre pays. Nos marins jouèrent un rôle décisif, facilitant le départ de ceux qui par patriotisme faisait le choix de poursuivre les combats auprès du général de Gaulle. D’autres n’entendirent pas cet appel, ils furent les plus nombreux…
Dès 1940, un bigouden de Plobannalec, né au Menez Veil, Alain Le Lay alias « Jacques » devait jouer un rôle essentiel dans l’organisation de la résistance clandestine en Bretagne. Son rôle consistait notamment à faire la liaison avec les militants communistes, partout où le parti était structuré avant la guerre. Il fut indéniablement l’un des premiers combattants de l’armée des ombres. Reconnu par le commissaire de police de Pontivy, Alain Le Lay fut arrêté par la police française, emprisonné à Quimper puis à Brest, avant d’être livré à la Gestapo. L’ennemi avait entre ces mains à ce moment là, l’une des chevilles ouvrières de la résistance bretonne. Malgré l’acharnement de ces tortionnaires, Alain Le Lay sut garder le secret. Et pourtant, quelques mots auraient suffi pour démanteler toute l’organisation bretonne. Déporté à Auschwitz, il mourut en octobre 1942, quelques semaines seulement après son transfert.
Les marins de Lesconil s’engagèrent donc dès cette année 1942 dans les actions de résistance. Parmi les nombreuses missions qui leur étaient confiées, il y en avait de très périlleuses comme les récupérations de conteneurs d’armes mouillés aux îles Glénan par les navires des Forces Françaises Libres.
Au long des mois suivants, les actions clandestines devaient se poursuivre, tantôt de renseignements, tantôt d’exfiltrations d’agents britanniques.
Jusqu’au moment où par un après-midi de juin 1944, les bonnes ondes de la BBC annonçaient pour ceux qui les écoutaient dans la clandestinité l’imminence d’un débarquement allié.
C’est dans ce contexte que le mardi 6 juin, des résistants de Lesconil se rendirent à Plomeur pour participer à une distribution d’armes. Sur leur chemin, ils rencontraient le maire de la dite commune, Louis Méhu, en pleine discussion avec deux soldats allemands au sujet d’un collage d’affiches. Obéissant à l’appel de l’insurrection générale régulièrement diffusé par Radio Londres, confortés dans leur action par ces vers de Verlaine,
« Les sanglots longs des violons de l’automne, blessent mon cœur d’une langueur monotone… »
nos jeunes Lesconilois firent de ces soldats leurs prisonniers. Deux autres allemands passant sur le même chemin, furent à leur tour capturés et les quatre otages conduits dans l’ancien presbytère de Plonivel en Plobannalec.
Informés de l’offensive alliée sur les côtes normandes, les autorités allemandes croient immédiatement à un attentat et à l’exécution des quatre soldats, dont les uniformes lacérés ne tardent pas à être retrouvés.
Le 8 juin, n’écoutant que leur courage et conscients du danger encouru par la population locale, Corentin Divanac’h, Julien Faou et Etienne Cariou, trois Francs Tireurs Partisans, s’empressèrent d’aller à Plonivel, convaincre leurs camarades de la nécessité de libérer les otages. Il était malheureusement déjà trop tard.
Les soldats de la Wehrmacht ne devaient pas tarder à remonter jusqu’à eux. Renseignés par la police française, aidés par la lâcheté et la trahison de quelques délateurs, les Allemands localisèrent bien vite le lieu de détention de leurs compatriotes.
Et nous en arrivons au tragique dénouement de ce fait de Résistance.
A l’aube du vendredi 9 juin, les Allemands opéraient une rafle dans la ferme de Brézéan lieu de cantonnement d’une partie de la résistance locale. Joseph Trebern, Georges Donnart, Corentin Béchennec, Corentin Durand, Emile Stephan, Lucien Dréau et Louis Larnicol sont arrêtés et conduits à la prison de Saint-Gabriel à Pont-l’Abbé.
En début d’après-midi, un impressionnant dispositif de véhicules allemands s’approche de Plonivel. Vers 15 heures, Antoine Volant est abattu près de Kervéol. Son frère, Yves, subit le même sort alors qu’il cherche à s’échapper de cette nasse en traversant le Steir. Les otages allemands sont libérés sains et saufs et les résistants présents sur les lieux tous arrêtés : Ange Trébern, Pierre Quéméner, Pierre Daniel, Yves Biger, Jean-Marie Cadiou.
Le 10 juin, après un procès sommaire, une Cour martiale condamnait à mort neuf de ces résistants.
Deux jours plus tard, le 12 juin, une date traumatisante, qui hante encore les habitants de Plobannalec-Lesconil, tous les hommes de 17 à 70 ans sont réunis dans l’usine Maingourd afin de subir un interrogatoire. L’objectif était bien entendu de démanteler la résistance locale. Pendant de longues heures, la mitrailleuse ennemie pointée vers eux, nos compatriotes ne connaissait pas leur destin. Les résistants une fois identifiés, furent enfermés dans le magasin de sel.
La liste des victimes de cette rafle serait trop longue à énumérer. Certains furent libérés le 15 juin, d’autres déportés. Six noms intéressaient plus particulièrement les autorités allemandes : Etienne Cariou, Corentin Divanac’h, Julien Faou, Prosper Quemener, Armand Primot et Albert Larzul. Le 22 juin, ces hommes furent condamnés à mort par les mêmes juges.
La suite vous la connaissez. Ces lettres écrites au petit matin, à l’issue d’une ultime nuit et destinées à leurs proches le jour de leur exécution. Ces lettres, je les ai lues et vous en entendrez tout à l’heure deux extraits. Ce voyage dans un camion allemand serrés entre des soldats ennemis et ces regards qu’on s’échange entre camarades conscients de l’imminence de la mort. Ces dernières paroles prononcées face au peloton d’exécution, ces dernières pensées pour ceux qu’on aime et qu’on laisse derrière soi. Cette dernière bouffée d’air marin qu’on apprécie pour la dernière fois. Ce dernier souffle qu’on expire…
A ces martyrs, nous ne devons pas oublier Louis Larnicol massacré à la prison Saint-Gabriel, Louis Méhu assassiné dans la même prison le 7 juin, Isidore Garo, Antoine Buanic et Yves Le Donche déportés et victimes de l’univers concentrationnaire.
70 ans après les faits, c’est donc une vision courageuse de la France que nous nous faisons un devoir et un honneur de célébrer. Au-delà de la compassion légitime que nous devons éprouver pour ces victimes et leurs familles, présentes ici à nos côtés, c’est une conception exigeante et héroïque de la liberté et du patriotisme que la République se doit de reconnaître en ces martyrs. Les élus, mes chers collègues, ont un devoir d’exemplarité dans la perpétuation de cette mémoire des crimes de guerre comme des crimes contre l’humanité. Leur assiduité aux cérémonies patriotiques contribue au combat contre l’oubli. Les témoins directs de cette sombre période de notre histoire sont de moins en moins nombreux. Je tiens à saluer au nom de la municipalité l’action de nos associations patriotiques qui oeuvrent auprès des plus jeunes pour transmettre, avec les enseignants, cette connaissance douloureuse de notre passé. De son côté, la mairie de Plobannalec-Lesconil a fait le choix pour se souvenir de ses enfants et martyrs d’afficher leurs portraits en mairie. Désormais, la toile tendue devant vous aura sa place dans le hall d’accueil de notre mairie. Ange, Pierre, Yves, Jean-Marie, Etienne, Corentin, Julien, Prosper, Armand, Albert, tel est l’hommage que votre commune souhaite vous faire 70 ans après votre supplice.
Mesdames, Messieurs, n’oublions pas l’esprit de la Résistance. N’oublions pas que dans les pires moments de notre Histoire, les idées républicaines ont fini par triompher des nationalismes, de la haine et du désespoir.
Mesdames, Messieurs, par votre présence nombreuse ici, vous montrez que la flamme de la Résistance est éternelle.
Nous ne devons jamais oublier ceux qui, venant des 5 continents, s’engagèrent au péril de leur vie dans la libération de l’Europe, portés par les valeurs de l’humanisme et de la solidarité. Ces mêmes valeurs qui moins d’une décennie plus tard devait construire l’Europe de la Paix. Ne l’oublions pas !
Alors « Vive l’Europe ! »
« Vive la République ! »
« Vive la France ! »
Je vous remercie de votre attention.
M Le Maire de Plobannalec-Lesconil, Frédéric Le Loc'h