-ANACR du FINISTÈRE-


Témoignage de Tadeusz Sobolewicz * prononcé lors d’une cérémonie du souvenir le 30 septembre 2011 à Auschwitz-Birkenau.

* Acteur et auteur polonais, survivant des camps de concentration nazis
L’exposition « Les combattants de l’ombre », réalisée en partenariat avec ARTE et la fondation Friedrich Stiftung, propose un nouvel éclairage sur la résistance en Europe durant la seconde Guerre Mondiale. Réalisée grâce aux témoignages de 80 résistants de nationalités différentes, celle-ci analyse la résistance dans sa dimension européenne.
Les témoignages de ces hommes et de ces femmes qui ont lutté contre le nazisme, mettent en perspective l’histoire, le rôle et l’importance de la résistance aux quatre coins du continent. C’est la somme de ces destins individuels qui constitue la grande histoire.
Cette exposition comporte 10 panneaux dressant le portrait de 10 résistants européens et un livret d’accompagnement. Celui-ci replace les témoignages dans leur contexte et apporte les éléments historiques nécessaires à la compréhension et l’appropriation de la thématique.
Pour réserver l’exposition :
education@cidem.org

Témoignage de Tadeusz Sobolewicz * prononcé lors d’une cérémonie du souvenir le 30 septembre 2011 à Auschwitz-Birkenau.
* Acteur et auteur polonais, survivant des camps de concentration nazis
Mesdames, Messieurs

C’était il y a 70 ans précisément, quand, lié par un fil barbelé à un autre prisonnier, je fus transporté au KL Auschwitz. J’avais 17 ans à peine, de nombreux comme moi subirent le même sort. J’avais été jugé prisonnier politique à cause de mon appartenance à l’Alliance pour la lutte armée. C’était l’année 1941, en novembre. Le KL Auschwitz était encore en construction, et nous devions participer aux travaux de son extension.

Je reçu le numéro 23053. « L’accueil » nous fut donné par le chef du camp, un certain Fritzsch, qui, par la bouche de son interprète, nous annonça, à nous nouveaux arrivants, qu’il ne restait, pour les juifs qui se trouvaient parmi nous, qu’une quinzaine de jours à vivre, pour les prêtres un mois, et pour les autres 3 mois tout au plus. Et qu’après, la seule voie de sortie de cet endroit était à travers les fours crématoires. Je pris conscience que c’était une sentence de mort qu’il venait de prononcer. Une fois le SS parti, on commença à nous frapper et à nous donner des ordres abrutissants : « Enlevez vos bonnets ! Remettez vos bonnets ! Garde à vous ! Allongez-vous ! Accroupissez vous ! Les mains en l’air ! Sautez ! ». Ceux qui étaient incapables d’exécuter correctement les ordres étaient tirés du rang et battus. Certains furent même étouffés par un bâton serré autour du cou.


Dans les jours qui suivirent, je fus affecté à un chantier où je devais transporter des sacs de ciment des wagons de fret au dépôt. Cela faisait à peu près 30 mètres, parcourus en courant sous les bâtons pressants des Kapos et des SS. JE pensais que je ne tiendrais pas le coup, mais la peur d’être matraqué et de perdre la vie me donnait la force de continuer ce travail exténuant. Celui qui trébuchait ou laissait un sac glisser par terre était battu jusqu’à l’évanouissement. Les cris incessants, les coups infligés et les gémissements des gens tués de manière bestiale par les nazis sadiques et par les kapos, pouvaient briser même les plus forts. La faim tordait les boyaux. Des cas de cannibalisme apparurent.


Je continuais à résister, malgré la perpétuelle menace de mort. Il fallait à tout prix éviter de s’exposer. Après, nos sabots en bois furent échangés contre des sabots en cuir. Je fus affecté à l’extraction de gravier et de sable du fonds de la rivière Sola.


Dans cette équipe de travail, encerclée par les SS, je fus témoin de scènes où ces derniers enlevaient les bonnets des détenus qui n’arrivaient pas à travailler assez vite, les jetaient en dehors de la ligne de garde, et demandaient ensuite de les rapporter et de se présenter. Une fois que le prisonnier avait traversé la ligne de garde, un SS lui tirait dans le dos et le tuait. Cela s’appelait : « tué pendant une tentative d’évasion ». En récompense, le SS recevait 2 ou 3 jours de congés.


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Je pourrais citer un grand nombre d’exemples de ce type, mais pourquoi ? Pourquoi rouvrir les blessures cicatrisées ? Non... Nous évoquons ces évènements pour que cela ne se reproduise plus jamais. Ce qui fut mon sort, et le sort de mes coprisonniers, était inimaginable, inhumain et atroce.
Je contractai le typhus. Après 10 jours dans un état d’inconscience provoqué par une fièvre jaune, je pesais 34 kg.

Lorsque j’eus, peu à peu, récupéré mes forces dans l’hôpital du camp, je fus désigné pour évacuer les corps de mes collègues décédés. Ensuite, grâce à ma connaissance de l’allemand, je fus employé comme écrivain à Birkenau où, à partir de la moitié de l’année 1942, furent déportés des milliers de citoyens d’origine juive, venus des divers territoires conquis d’Europe. Je les vis de mes propres yeux : des femmes, des enfants, des handicapés, tous menés vers les chambres à gaz, opérant à cette époque- là, d’une manière provisoire. Une fois, lors de l’enregistrement des hommes sains et forts, qui étaient sélectionnés pour le travail, un Juif néerlandais me jeta une boîte dans laquelle je trouvais une montre dorée. Je n’avais pas le droit de porter de montre. Je la donnai donc à un détenue, plus âgé que moi, qui réussit à arranger mon déplacement dans la cuisine du camp. Malgré un travail exténuant, mes conditions de vie à Auschwitz s’améliorèrent considérablement. Je n’avais plus faim, je pouvais alors aider les autres. C’était mon obligation morale. Je m’engageai dans l’action d’aide aux collègues résidant dans l’hôpital du camp. La solidarité dans la lutte pour la survie n’était ni sûre ni facile.


D’ailleurs, au KL Auschwitz, la lutte existait, malgré la terreur, les persécutions et les fusillades. C’était une lutte sans arme sans armes, une lutte pour préserver son humanité et sa dignité humaine. Parmi ceux qui luttèrent, on peut citer le capitaine de cavalerie, Witold Pilecki, fondateur, dès 1940 d’une organisation militaire ; ou Saint Maximilien Kolbe, qui échangea sa vie contre celle d’un autre prisonnier ; ou encore Maria Stromberger, une infirmière allemande, qui, malgré les risques qu’elle courait, apportait des médicaments aux malades. On se souvient aussi de la révolte dans la compagnie carcérale, en 1942, et du soulèvement des prisonniers juifs du Sonderkommando, qui préférèrent mourir d’une balle plutôt que d’aider les nazis allemands à gazer et à incinérer les autres. Ces exemples sont nombreux...


L’histoire du camp d’Auschwitz constitue un exemple de lutte contre une terreur inhumaine, contre un abrutissement de l’Homme. Depuis des années, l’ancien KL Auschwitz ne cesse de nous avertir et de nous rappeler : « Plus jamais ». Malheureusement, il existe encore dans le monde des systèmes et des forces du mal, qui sont une menace pour l’humanité. Les attaques terroristes en sont un exemple. Chaque année, dans ce lieu, le peuple polonais et le peuple juif, qui ont tant souffert ici, rendent hommage aux personnes assassinées. Les Roms maintiennent la même tradition. Ici, parmi les cendres des incinérés, se trouvent les cendres de mon père et de milliers d’innocents, représentants d’un grand nombre de peuples du monde. Il faut impérativement éradiquer de la vie humaine la haine, le racisme et la xénophobie. Sinon, une autre nouvelle hécatombe du crime pourrait se reproduire. Ici, à Birkenau, les traces de ce temps passé nous imposent, à nous les gens du présent, de répéter le message de mémoire et d’avertissement, et d’agir ensemble, au-delà de tous les clivages, en faveur de la construction de la paix.



J’espère qu’après tant d’effort déjà fournis, le temps est maintenant venu d’achever le projet du Tertre de la Mémoire et de la paix à O
wicim. Aujourd’hui, 70 ans après l’établissement de l’usine de la mort, portant le nom de KL Auschwitz-Birkenau, nous devons construire un symbole durable à la mémoire de tous ceux qui y périrent. En outre, nous devons commémorer le sacrifice de toutes les victimes qui périrent durant les guerres mondiales. C’est notre obligation morale, c’est ce que notre époque demande. De la même manière que l’Europe a besoin de solidarité, elle a besoin d’éterniser la mémoire ! Nous devons nous unir pour construire un Monde dans lequel les Hommes peuvent vivre et s’épanouir en paix.

Je me présente aujourd’hui devant vous, moi le survivant et l’ancien prisonnier de « l’enfer »du KL Auschwitz. Je prononce ces mots en mon nom et au nom de mes co-prisonniers. Ceux qui ont survécu se préparent à s’en aller. C’est donc dans vos mains que repose l’avenir du monde.

Merci.

Tadeusz Sobolewicz- ancien prisonnier au KL Auschwitz, numéro 23053


Discours pour la réunion avec les participants du Congrès du CCRE, organisée auprès du Monument du Martyre des nations, à l’ancien KL Auschwits II-Birkenau, le 30 septembre 2011.

(Photographie : Conseil des Communes et Régions d’Europe)


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